4 générations vivent aujourd'hui en France (2)

Publié le par Jacques Lambert

 camembert vert2eme période : elle concerne ceux qui sont nés entre 1942 et 1967. Les plus anciens d’entre eux (nés entre 1942 et 1945) vont vivre leurs années de formation pendant la guerre d’Algérie et vont vivre la naissance de la première culture de masse : la culture rock. Ceux qui sont nés entre 1945 et 1954 « feront » mai 68, vivront l’époque devenue mythique des « sixties » et imposeront la culture pop à leurs aînés. Enfin, ceux qui naîtront entre 1955 et 1964 auront moins de chance et auront leurs années de formation baignées par l’agonie des 30 glorieuses et le début du chômage de masse, ce qu’on appelle encore aujourd’hui « la crise ». Ensemble, Ils sont les enfants du fameux « baby boom » qui en fait est constitué de 3 vagues successives[1]. Ils forment aujourd’hui 36 % de la population française.  Ces 36 %  constituant 43 % des ménages et occupant 55% des emplois...

Les premiers d’entre eux ont 10 ans en 1945. Ils vivent leur enfance au commencement des 30 glorieuses. Leurs parents connaissent le plein emploi. Ils seront les derniers avant longtemps à connaître la peur et la mort (guerres d’Algérie et d’Indochine). Après eux commence une ère exceptionnelle de progrès, d’innovations, de paix et d’abondance. Comme nous allons le voir, ceux qui sont nés entre 1945 et 1954 vont pleinement en bénéficier tout au long de leur vie qui sera longue et confortable sur le plan matériel.

 

Repères économiques : une société placée sous le signe du progrès et du confort.

 L’économie continue de tourner à plein régime. C’est toujours une période de quasi plein emploi avec un taux de chômage moyen qui oscille autour de 3%. A cette époque, il est extrêmement facile de faire son entrée sur ce qui est devenu le « marché du travail ».

Cela favorise encore le désenclavement de l’individu de sa classe socioprofessionnelle d’origine.  Le concept de « marché du travail » indique bien ce qui se passe à l’époque. Il ne s’agit plus comme par le passé d’entrer dans la vie active en exerçant le métier de ses parents. Mais chacun est invité, en tant qu’individu, à se situer sur un marché à priori ouvert et qui lui permet d’envisager un parcours de vie qui lui soit propre et qui ne soit plus totalement déterminé par sa catégorie socioprofessionnelle d’origine, c'est-à-dire en fait, celle de ses parents. Il s’agit d’une rupture profonde grâce à laquelle le parcours de vie n’est plus assujetti à une fatalité ou à un pur déterminisme social, mais devient plus dépendant des capacités et des choix effectués par la personne.

Avec la première loi sur la formation continue, la formation ne se termine plus avec la fin des études, c’est la fin de la fin des études.

La trajectoire personnelle de vie individuelle devient possible, la mobilité sociale commence à fluidifier la société française. A cette époque, les individus commencent à gagner en liberté. Les études sur les phénomènes de mobilité sociale intergénérationnelle[2] montrent qu’à cette époque, il devient plus facile à l’individu de se déplacer sur l’échiquier social. Choisir ses études signifie choisir son métier pour, finalement, choisir sa vie.Les notions de progrès et de mobilité s’installent dans les systèmes de représentation collectifs.

 

Repères sociaux : Une société placée sous le signe de l’ascension sociale et de la méritocratie.

Cette période réalise aussi sur le champ social la consolidation, l’accélération et l’extension des impulsions données par la période d’avant. Peu à peu, l’employé et l’ouvrier se substituent à l’agriculteur pendant que le cadre se substitut au bourgeois. Les classes moyennes continuent à structurer l’imaginaire collectif autour de la notion de progrès.

Le travail indépendant cède la place au travail salarié qui se développe et devient peu à peu la norme. Peu à peu, via le salariat, le travail se sécurise. Ce faisant, le pays « entre en hiérarchie ». Hiérarchie sociale avec les classes (ouvriers, professions intermédiaires, artisans, cadres, cadres supérieurs…). Hiérarchie du statut professionnel dans les organisations (dirigeants, encadrants, encadrés) qui renvoie au statut social.

Dis- moi quel métier tu exerces et je saurai socialement qui tu es.

Les classes sociales quant à elles structurent la société et la maintiennent en équilibre par le biais de leurs affrontements et de leur coopération. Il s’agit d’une société de classes, donc de collectifs.

Si cette époque peut être qualifiée de révolutionnaire, nul doute que c’est aux femmes qu’elle le doit. En effet, c’est au cours de cette période qu’elles vont peut à peut revendiquer et obtenir  l’égalité de droits avec les hommes.

La jeunesse de l’époque ne sera pas en reste, elle qui va quasiment créer le concept de génération au sens où nous l’entendons ici. Les jeunes qui forment la génération émergente de cette époque revendiquent un autre type de société, plus ouverte, plus souple et faisant la part belle à l’individu et à son épanouissement.

Le rock, puis la pop vont constituer à la fois le socle et le carburant d’une solidarité générationnelle qui va imposer au monde une culture en rupture d’avec celle de la génération de ses parents. Une culture dont les codes vont déborder ceux de la culture officielle et de l’institution scolaire[3]. Il faut insister sur le fait que cette culture de la jeunesse traverse et transgresse les habituels clivages entre cultures de classes. Bien que disposant de moyens financiers différents, les filles et fils de bourgeois de cette époque vont partager les mêmes goûts et les mêmes modes de vie (rock et pop music, vêtements fleuris et « pattes d’éphs », vie en couple avant le mariage, concubinage, goût pour les loisirs et la consommation. C’est à cette époque que commence à s’affaiblir le clivage entre classes sociales et que s’affirme un « âge de la jeunesse ».

Comme le souligne Paul Yonnet[4], cette jeunesse va imposer au monde ses goûts musicaux, ses choix vestimentaires, artistiques et créer ainsi un nouveau « continent social » : l’adolescence.

Plus tard, cette contre culture se « marchandisera[5] » et deviendra la culture dominante lorsque cette génération adolescente arrivera à l’âge de la maturité.

S’il est indéniable que cette période de mai 1968 a marqué son époque, avec le recul, elle apparaît plus comme une sorte de processus à la fois d’aboutissement et d’accélération des évolutions commencées lors de la période 1945 – 1975, plutôt que comme on le dit souvent une révolution ou même une rupture. Comme si les fortes mutations économiques et sociales trouvaient à ce moment à s’incarner dans une génération dont les membres allaient pouvoir les mener à leur terme.

Cette période voit vraiment l’individu devenir le centre de sa vie.  Là où leurs parents travaillaient pour « s’en sortir », les membres de cette génération vont se mettre en devoir de « réussir leur vie ». Réussir sa vie matérielle, culturelle, sexuelle, affective va devenir la grande affaire de cette génération.

Un collectif affaibli et l’émergence d’une identité construite

C’est une époque d’espoir mais aussi confortable et clémente pour la plupart, qui va autoriser les individus à penser à eux et leur permettre de formuler une exigence nouvelle : la revendication de l’épanouissement individuel (dans sa vie personnelle comme dans sa vie professionnelle).

De prescrite par une instance supérieure, l’identité de la personne va peu à peu devenir son œuvre personnelle, construite à travers les expériences variées, choisies par lui, qu’il va pouvoir vivre.

C’est ainsi que le modèle de société antérieur : un individu au service d’un collectif, de son expansion et de sa survie (quoi qu’il en coûte à l’individu - pensons aux guerres) va être progressivement remplacé par un modèle ou le collectif sera toléré dans la mesure ou il sera mis au service de l’individu et de son épanouissement.

 

En résumé

Jouissant d’un confort économique inédit et d’une puissante protection sociale, la jeunesse de cette époque va  fortement s’orienter vers la culture. Pour la première fois dans l’histoire, cette culture de la jeunesse va s’imposer à toutes les couches et à toutes les classes de la société.

Ceux qui sont nés entre 1942 et 1950, qui ont vécu leur enfance et ont été éduqués pendant ces années là, ont en quelque sorte baigné dans une société, digne héritière du siècle des lumières. Une société fédératrice, en expansion, dynamique, optimiste, positive, porteuse d’espoir et de progrès, qui incite à « voir loin », à anticiper et à se projeter dans le futur.  Pour ceux nés entre 1951 et 1967, même si la situation commencera à se dégrader, ils bénéficieront encore de beaux restes et ils profiteront pleinement des nouvelles libertés individuelles. Mais ils commenceront à devoir expérimenter des parcours de vie moins sécurisés que ceux qui les ont juste précédés.

Cette génération aura été celle de l’affaiblissement de la verticalité de la société et celle du développement des dynamiques et des forces transverses qui vont s’épanouir pour les générations suivantes. Une société qui a érigé en valeurs l’épanouissement et la liberté individuelle.

Ils ont désacralisé les institutions et ont fait de l’individu le centre de sa vie et le centre de gravité de la société.



[1] CF la pyramide des âges en annexe.

[2] Définition du taux de mobilité sociale intergénérationnelle : nombre de personnes se déplaçant sur l’échelle sociale en progressant (dans ce cas les valeurs sont positives) ou en régressant (les valeurs sont alors négatives) dans la hiérarchie socio-économique par rapport à la position sociale de leur père.

[3] Eh oui ! Cette génération est bien celle des parents de  Diam’s : « ce n’est pas l’école qui a dicté nos codes ».

[4] Paul Yonnet. Jeux, modes et masses. 1945 – 1985. Bibliothèque des sciences humaines. NRF. Gallimard. 1985.

[5] Dans les années 70, l’industrie du disque deviendra l’industrie la plus florissante.

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